Au sommet du phare, une silhouette se détache de la flamme tournante. Je suis là, accoudée sur la rambarde. Il pleut, mais qu’importe. L’imposant nuage gris qui déferle sur la côte sera bientôt passé. A l'intérieur, Lysandr est posée contre la porte vitrée, un café entre les mains. Elle attend mon récit ; je lui avais promis d'accepter de lui raconter mon histoire ce soir, à elle qui souhaite tant me connaître et s'inspirer de ma personne. Il est vrai que cela se sent ; j'ai vu tout ce qu'il y avait à voir de Panem, j'ai connu l'opulence et la misère, le bonheur et la honte. Mes cheveux sont trempés, mes vêtements collés à ma peau. Je me sens bien ainsi, plus vivante. Je rentre, attrape une cigarette et le café de Lysandr.

" C’est ici que je suis née, dans le district quatre, je lance pour débuter. Ici même où je suis une paria en exil. Je suis revenue dans la ville où j’ai vu le monde pour la toute première fois. La maison de mes premières années n’est plus qu’une ruine sur quelques poteaux de bois bancals non loin de la plage. Le temps a fait son travail. Je ne fais pas vraiment de sentimentalisme, ce sont des choses pour les enfants et les vieillards. Je n’ai vécu ici que quatre ans, j’ai à peine eu le temps d’avoir des souvenirs de cet endroit. Je sais uniquement qu’il s’agit de mon berceau. "

" Je l’ai quitté avec ma famille pour traverser le pays, et emménager au Capitole. " C’était le destin de mon père d’y travailler. C'était un bureaucrate particulièrement loyal à la Présidence d’Erwin. " Il était Maire ici, dans cette ville, au district quatre et venait d’être désigné comme ambassadeur. Son nouveau poste allant de pair avec de nombreuses traversées de Panem, il s'est rapidement transformé en fantôme. " Un courant d’air dans un train. " J’aimais le Capitole, dis-je sans en avoir honte. Qui n'aimerait pas être riche? Ses couleurs et ses excès en faisaient un terrain de jeu hors du commun. J’adorais la gaieté dans les rues, la sensation de ne manquer de rien, d’être une privilégiée dans un monde de paillettes et de buffets. "Comme si la vie n’était que miel et satin. " J'y suis restée dix ans. A peu près. Viens. "

Je ferme la porte en verre et descends le long escalier de la tour. "Tu t'en doutes, ça a finit par clocher quelque part. Avec un père en politique, ça foire toujours un jour, dis-je en chemin. J'ouvre une épaisse porte en bois menant sur ce qui me sert de chez-moi : un canapé et une télévision pour salon, une étagère pour bibliothèque, une gazinière pour cuisine, une lucarne pour seule fenêtre. Les gens du Capitole diraient poliment que c'est un espace "cosy". J'appelle ça un trou à merde. " Mon père, l'ambassadeur Kincardine." Je vois que ce nom lui dit quelque chose. Il avait défrayé la chronique durant des jours, mieux qu'une pop star.

« Mon père était un homme bien qui a fait un travail formidable. Tout le gouvernement l’appréciait, et tout le monde le voyait comme le Dauphin du Président Erwin. Son successeur si tu préfères. Mais ce n'est pas un mot qu'affectionne beaucoup Erwin qui voit son squelette régner sur Panem après sa mort s'il le faut. » J'esquisse un sourire, même si cette histoire n'avait rien de drôle. Je bois une gorgée de thé et m'assied enfin dans le canapé, les pieds sur le vieux cuir déchiré. « Ce que mon père m'a raconté, c'est qu'un jour, Erwin lui a demandé de venir dans son bureau. En personne, sans gardes. Quand il est entré, il a trouvé la secrétaire du Président égorgée sur la table. Tout ce sang l'a fait paniquer, et en perdant ses moyens, il n'a plus réfléchi. Il s'est jeté sur la fille qui respirait encore, il a voulu stopper hémorragie. Il a déchiré sa robe pour faire un garrot et l'a attaché autour de son cou. Quand il a appelé à l'aide, la fille était morte, et lui couvert de son sang. Ses empreintes étaient partout, et il était seul témoin. Je te passe les horreurs dont on l'a accusé. Mais pour la Justice, il ne faisait aucun doute que mon père l'avait assassinée. » C'était sûrement la preuve que tout ses confères qui semblaient tant l'adorer suivaient de près l'adage qui veut que l'on reste proche de ses ennemis. Que la jalousie les rongeait au point de porter ce genre d'accusations folles et ruiner sa vie. Voir y mettre un terme.

« On s'est enfuis. Dès qu'il est sorti de garde à vue, il nous a dit de faire nos valises, et nous sommes partis. Pour être sûrs de ne pas être attrapés, on a mit un mois à traverser Panem, jusqu'au douze. » Je fais une pose, réfléchissant à la suite des événements. Tout m'a l'air si irréel. L'extérieur m'a l'air d'être un rêve tant je n'y mets plus les pieds. J'ai parfois du mal à croire qu'il existe un quelconque passé où je me trouvais dehors. Je me perds quelques secondes. « Tu as faim ? Je meurs de faim. J'ai... du pain que m'a déposé la boulangère ce matin. Et du beurre salé.
- Je sais, Swann. Tu ne te nourris que de pain et de beurre salé. »
Ah. C'est vrai. Il faut dire que les seules personnes qui acceptent de me voir, me parler ou m'aider sont la boulangère, le crémier, et Lysandr. Ma peur de l'extérieur m'empêche d'aller au marché, je suis donc complètement dépendante de ce que l'on veut bien me donner. Je ne m'en plains absolument pas d'ailleurs.
« Où j'en étais ?
- Le district douze.
- C'aurait pu être un endroit charmant si les gens n'y étaient pas aussi hargneux. Ils haïssent le Capitole et tout ce qui en provient. Ils ont à peine accepté que nous nous installions là sans nous dénoncer. Nous sommes restés là longtemps, je ne saurais pas dire combien d'années. Jusqu'à la guerre civile en fait. »
Nous avons espéré que cette rébellion n'était qu'une passade, mais plus le temps passait, plus la colère montait, et plus j'étais persuadée que le désastre était à venir. Si la guerre éclatait dans le district douze, les hordes de Pacificateurs ne mettraient pas deux heures à nous trouver, nous reconnaître et nous exécuter.
« Une brigade de Pacificateurs sont venus calmer le village. Ils sont entrés chez nous, et en une demie-seconde, tout était terminé. Je n'étais pas chez moi à ce moment là. Je les ai vus extirper mon père de la maison et le traîner jusqu'à la place de l'Hôtel de ville. Ma mère aussi. Je n'ai pas hésité plus longtemps et je me suis mise à courir. »

C'était il y a un an. Le reste de l'histoire, elle l'a connaît. « J'ai longé la côte. J'ai vu le phare. Je suis entrée. Je ne suis pas sortie depuis. »

Ce que je pense de la révolte des Jours Sombres : Cela devait arriver, j'imagine. Le peuple était en colère. Bien avant de tomber dans la pauvreté et l'ombre du Capitole. Ils avaient gardé en eux la colère d'il y a deux siècles de cela, de la quasi-extinction de l'Humanité. Ces deux siècles de rage contre le monde, contre Dieu et la vie devaient déferler sur le pouvoir en place un jour ou l'autre. Rien ni personne n'aurait pu les arrêter. Comment dire... C'était un mal nécessaire pour un retour définitif au calme et à la paix.
Ce que je pense de notre époque, de Panem et du Capitole: La servitude et la foi dans le Capitole est, je pense, l'unique moyen de ne pas réitérer les erreurs de nos ancêtres. Le temps de reconstruire un véritable pays, uni et cohérent, un ordre naturel et un système qui n'aura pas besoin de la répression pour fonctionner, nous ferions mieux de garder nos œillères et filer droit. Nous ne sommes encore que des enfants qui comprennent à peine leurs erreurs et les leçons à en tirer. Le Capitole est là pour nous protéger, assurer notre survie, et nous faire grandir.
Ce que je pense des Hunger Games: C'est une mesure cruelle au premier abord qui se révèle finalement être la meilleure carte que pouvait jouer le Capitole. Les Jeux vont non seulement pouvoir conserver une épée de Damoclès au dessus des têtes des citoyens, mais aussi créer une solidarité dans le deuil de leurs proches morts dans l'Arène, tous nous rapprocher, et nous faire prendre conscience que c'est ensemble, en un peuple uni, que nous ferons de Panem le plus grand des pays de l'Histoire et n'ayant plus besoin de politique autoritaire pour prospérer.