Lève le menton. Baisse les épaules. Rentre le ventre. Souris. Autour de moi les rats de la télévision s'activent. Mon styliste personnel. Ma maquilleuse, ma coiffeuse. Les ingénieux du son, de la lumière, des effets spéciaux. J'ai confiance, je sais que comme chaque soir je serais resplendissante, parfaite. C'est une sensation enivrante d'avoir confiance en soi, et d'avoir raison de l'être. De se savoir belle, aimée, admirée, et de n'avoir pas le moindre doute à ce sujet. On m'acclame, je l'entends. Des centaines de paires de mains se sont mises à applaudir toutes en même temps. J'apparais sur le plateau, et elles applaudissent encore plus fort. Plus fort, plus fort. Je leur adresse un signe de la main, même si les spots m'aveuglent et que je ne les vois qu'à peine. Je salue également Dick Moonpath, le présentateur de l'émission. Oui, ce soir, je m'installe dans le fauteuil des invités. Sur le grill.

« Bonsoir Pomelyn, dit-il en alignant toutes ses dents visibles.
- Bonsoir Dick. Merci de me recevoir, je réponds, sachant qu'il n'a pas réellement eut le choix. « Meet Pomelyn Briar » n'est qu'une émission d'un soir imposée à la chaîne par le Président afin de booster ma popularité déjà à son paroxysme et m'introduire en tant que présentatrice des futurs Hunger Games. Une présentatrice célèbre est une promesse d'une audience record en plus d'être la cuillère de miel qui fait passer la pilule de la diffusion forcée des jeux. Nous allons donc parler de moi, mon passé, tout ce que tout Panem connaît déjà. A moi de jouer la carte de l'émotion.
- C'est un honneur pour nous de t'avoir ici, ce soir, dans cette émission qui t'est consacrée. Qui est Pomelyn Briar, c'est la question à laquelle tu vas nous aider à répondre. Non pas que tu ne sois pas déjà célèbre dans tout le Capitole...
- Tout Panem. Ne vas pas réduire mon fan club de moitié.
- Tout Panem, c'est exact ! La petite protégée du Capitole ! Mais ce soir, ce qui nous intéresse n'est pas le mythe qui t'entoure, l'histoire de la miraculée qui a émut le pays. C'est ce que le public ne sait pas et ne voit pas, la part humaine de la légende.
- Tout de suite les grands mots. Je ne suis pas une légende, voyons. On te mettrait deux semaines à mon poste que tout le monde m'aurait oubliée. Mais il faudrait déjà conserver le tien. »

Il rit, la salle s’esclaffe. Mais le message de moi à lui est parfaitement clair. Je hais cet homme et il me hait. Notre histoire récemment terminée a laissé un goût amer aux deux parties, mais c'est à lui qu'il a été donné de se venger. Parler des dessous de ma vie publique et privée est pire qu'une invitation à défiler en sous-vêtements devant les caméras. Il sait tous les sujets que je n'abordais pas auprès de lui et qui le rendait malade. Ce soir, il me fera cracher caque morceau de mon intimité sur ce plateau, face au pays entier. Oui, le message que je lui envoie est clair : sa vie, sa carrière télévisuelle, sera terminée lorsque j'aurai franchi le seuil des coulisses. Il sera publiquement mort.
« Je suis un livre ouvert, allons-y. »

La séance de torture débute sur un court reportage à mon sujet. Photos de famille et images d'archives ponctuent le parcours d'une caméra me suivant durant une journée de travail. On me voit dans les bras de ma mère à ma naissance, ma sœur jumelle dans l'autre bras, amoureusement entourée de mon père et mon frère. Quelques vidéos de mon enfance à dos de poney, à un Noël digne un téléfilm, laissent place fatalement à la tragédie. J'ai six ans lorsque ma santé se détériore. Je suis pale, je maigris de photo en photo. Je m'écroule à huit ans. Tout ce qui suit n'est que reportages sur mon étrange maladie, inconnue des meilleurs médecins du Capitole. Des images d'une petite blonde dans un lit noyé sous les câbles et les tuyaux, l'un pour respirer, l'autre pour me nourrir, le dernier pour m'injecter de quoi me garder stable. Des électrodes sur le front, la poitrine et les mains. Une dizaine de machines différentes dans la chambre. Mes parents dévastés devant les caméras appellent à l'aide et annoncent qu'une levée de fonds aura lieu au Palais présidentiel afin de financer la recherche en vue de me guérir. Nait la Fondation Briar. Puis le miracle se produit ; j'ouvre à nouveau les yeux deux ans plus tard. Je suis devenue la Petite protégée du Capitole. C'est l'histoire que tout le monde connaît. Je devine les questions qui me seront posées ce soir. Lorsque les lumières se rallument, j'ai prit le temps d'embuer mes yeux.

« Très émouvant. Et si tu nous parlais d'abord de ta sœur, Jazzelys ? Vous êtes jumelles, mais êtes vous proches ?
- Comme tu l'as dit, c'est ma sœur. Nous avons été conçues toutes les deux, nous sommes nées toutes les deux, et nous nous éteindrons l'une auprès de l'autre. Quoi qu'elle fasse, Jazz est la personne la plus importante de ma vie.
- Vous devez avoir un lien très fort dans ce cas, pourtant on ne vous voit jamais ensemble.
- J'essaye de la préserver des projecteurs et des intrusions massives dans sa vie privée. J'ai sûrement bien trop peur qu'elle ne me vole la vedette.
- Qu'est-ce qui me dit que je n'ai pas affaire à Jazzelys ce soir ? Dit-il en se délectant des rires des spectateurs. Pourtant, elle connaît les feux des projecteurs. Non seulement votre famille est l'objet de beaucoup d'admiration, votre père notamment est l'artiste végétal attitré des jardins du Capitole. Votre sœur avait réussi à percer dans son propre domaine. J'ai cru entendre que malgré ses débuts prometteurs dans la musique, sa carrière a connu un véritable tournant... plutôt sombre disons.
- … Ma sœur fait ce qu'il faut pour être heureuse comme elle l'entend et cela est passé par une période difficile où elle a eu besoin de se chercher. Aujourd'hui elle fait de ses mains de sublimes sculptures de métal qui méritent une place d'honneur dans le salon de chaque personne qui nous regarde. Elle a à sa portée le rêve de tout Capitolien : vivre avec passion. »
Applaudissements. Honneur préservé. Pour combien de temps encore ?

« Passons à ton frère, si tu le veux bien. » Aïe. « C'est un homme brillant, bel homme, et jusqu'à il y a quelques semaines il était le célibataire le plus convoité du Capitole, mais il est surtout le plus jeune secrétaire d'Etat que Panem ai jamais connu.
- En effet, il travaille à la défense de Panem. Il était le commandant en chef de nos troupes lors des affrontements de l'année dernière. Il aime le Capitole plus que sa propre famille. Nous sommes très... proches. »
Je fais de mon mieux pour que ma pensée ne traverse pas mes lèvres. Nous sommes loin d'être aussi proches que ce que souhaiterais. Son mariage est une malédiction. Dieu merci, l'épaisse couche de maquillage qui recouvre mes joues empêche quiconque de voir que je rougis. Je serre légèrement ma robe. Ce que ces lumières donnent chaud...
« Même s'il a appuyé la décision de la justice concernant le châtiment de votre mère ?
- La guerre civile a été une une période difficile pour nous tous. Chacun a eu des sacrifices à faire. Il a dû prendre une décision après ce que notre mère a fait, voilà tout.
- Tu veux parler de sa trahison ?
- Ma mère ne trahit que les convictions qui divergent des siennes, mais c'est une femme forte qui est toujours restée fidèle à elle-même. Je respecte cela, je respecte ses choix, même si je ne les comprends pas.
- Elle a tenté de faire exploser la statue du Président tout de même. »

Je sens tout à coup le monde entier se pencher sur moi, une oppressante sensation de désemparement. Je serre les dents et cligne longuement des yeux dans l'espoir de me reprendre. J'ai le cœur à la place du cerveau, battant sur mes tempes la BO de ma fierté en miettes.
« Et je pense qu'elle mérite d'être punie pour cela. Elle a toujours pensé que l'argent et la plume pouvaient tout régler, et lorsqu'elle s'est rendue compte que ce n'était pas le cas lors des Jours Sombres, elle s'est perdue. Cela n'excuse pas ses pulsions terroristes. Je pense que la mort la délivrera d'elle-même. »
Les larmes montent soudainement et Dick me tend un mouchoir. Mon sourire est reconnaissant tandis qu'intérieurement je lui crache à la figure. Je crache sur tous ceux qui pensent que faire sauter un bout de marbre mérite la mort, sur ceux que mes larmes divertit.
" Il est peut-être temps de faire une pause pub. A bientôt pour la suite de Meet Pomelyn Briar ! "

- JE VEUX QUE CET HOMME SOIT VIRE, je hurle en coulisses, les yeux gonflés et rougis, les joues noyés de larmes, le nez humide, tremblante, mais surtout folle de rage.


Ce que je pense de la révolte des Jours Sombres : J'ai beaucoup d'empathie et de tristesse pour toutes les personnes décédées lors de ces sanglants affrontements. Tout cela m'attriste sincèrement. Je comprends la colère de ces personnes, ce qui les a poussés à se révolter. Ils sont mal nés, ils n'ont pas eu de chance. Mais je pense qu'au lieu d'essayer de mordre la pain qui les nourrit et les protège, ils feraient mieux de mettre toute l'énergie qu'ils ont eu pour s'entre-tuer dans une cause constructive : faire de Panem un pays meilleur pour eux et leurs enfants en faisant chaque jour de leur mieux. Si pleurnicher ne leur a apporté que la mort, alors qu'ils tirent les leçons de leurs actes.
Ce que je pense de notre époque, de Panem et du Capitole: Le Capitole a toujours été bon avec moi et ma famille. J'ai conscience de faire partie d'une élite de privilégiés et je remercie chaque jour la vie pour cela. Je pense que le Capitole fait de son mieux pour le peuple et que s'il leur demande des sacrifices, c'est pour mieux leur rendre la pareille un jour. Ce qui est bon pour le Capitole est bon pour tout Panem. Nous avons la chance d'avoir un merveilleux, grand et beau pays. Réunissons nos efforts pour le célébrer et le faire prospérer.
Ce que je pense des Hunger Games: Vous croyez pouvoir me faire cracher sur mon tout nouveau gagne pain? Jamais, je suis désolée. Ces jeux vont être une source folle d'amusement, de divertissement et de richesse. Ca sera un programme comme personne n'en a jamais vu avant, une première dans l'Histoire qui va révolutionner la télévision. Les gens vont pleurer, rire, trembler au rythme des épreuves que vont vivre les tributs, et cela sera non seulement véritablement prenant, mais aussi passionnant.